Leo Bioret / Tenir debout à plat, MARIE-JOHANNA CORNUT
Tenir debout à plat
Texte d'artiste, 2019
Marie-Johanna Cornut se raconte d'abord des histoires et se laisse séduire par l'entêtement d'une idée. De l'imaginaire collectif elle défie les associations entre solides et symboles et entame un récit qui brise visuellement l'abstraction géométrique pré-établie. La dureté du métal est amollie, la fluidité du tissu s'alourdit et l'écran devient une projection, la séparation est transparente, la rondeur est horizontale, la sculpture se pare d'atours picturaux, la profondeur se superpose et l'angle se fige à plat. Ces ambiguïtés de matière annoncent des empêchements en chaîne. Marie-Johanna Cornut fait perdre les équilibres et c'est bien là son jeu favori. Face à la rigidité loquace de la géométrie de construction, la légèreté est de mise dans les créations de l'artiste. Une forme de lâcher-prise duquel elle élabore une partition élémentaire basée sur la « non-sériosité » et la futilité ; deux éléments constitutifs de ses procédés de travail. Elle s'appuie sur un séquençage de connexions visuelles comme vocabulaire. Par ici des grilles architecturales et plus loin une prise de pouvoir colorimétrique, visuellement pensée de manière photographique. Assembler, c'est chercher à faire fonctionner pour enfin déclencher une action, obtenir un résultat ou créer une correspondance. Marie-Johanna Cornut fait fit de cette logique d'utilité. Les combinaisons réalisées interrogent notre manière de (re)percevoir la forme. Ce plaisir des associations est manié par oppositions pour générer une alchimie d'effets visuels. Dès lors se met en marche l'identification des symboles-sculptures inventés par l'artiste. Cette colonne vertébrale de signes élabore un langage, ce que la sculptrice nomme ses « constellations environnementales ». Claude Lévi-Strauss désignait la zone entre-deux dans laquelle l'art siège immuablement, « entre le langage et l'objet »1 tel un système significatif. Marie-Johanna Cornut passe sans cesse de l'un à l'autre par des subterfuges de désignation, d'amusement mécanique et de suggestion. Le jeu, comme espace, comme problème produit, fixe des règles d'analogies mentales et formelles. Ses oeuvres sont des segments isolés qui ne tiennent qu'à l'assemblage de l'esprit pour réaliser une séquence sculpturale qui s'apparente à une phrase, un phénomène d'expression. Relier ses sculptures à l'action cinématographique du plan séquence amène sans crainte vers la révélation d'un temps et d'un langage, observable depuis et autour de l'objet figé. Le signe (l'oeuvre) puis le mot (le titre) composent un système de codes. La réception qui en découle est une étape essentielle qu'elle intègre entièrement au processus. Si les réalisations de l'artiste telle une « spatialisatrice » mettent en doute les espaces, elles déclenchent aussi la réalisation d'une sculpture temporelle. Son rapport de création à un temps et un lieu précis met en marche l'esprit. Elle donne un volume aux formes empruntées à la deux dimensions et celles ci sont déclinées sur deux plans pour s'assembler et faire apparaître le 3ème plan de sa sculpture. Elle y injecte, une autre matière, le temps, une donnée qui s'est imposée dans son atelier. Elle y développe une liberté d'expérience temporelle et spatiale, qui la guident vers l'orée d'une nouvelle constellation à l'apparition plus « patiente ». L'artiste travaille une peinture comme une sculpture à plat où les horizons proches du sol abaissent le regard. Une attention et une distance sont déclenchées sur la surface surélevée. Apprivoiser ses formes, c'est décrypter le langage d'une sculpture à la temporalité étirable. Les immensités arides de Marfa2 la projètent dans des panoramiques imminents. Suivre un axe et le déjouer, c'est ce qu'elle continue de faire désormais jusqu'au désert texan, debout sur une nouvelle horizontale, une potentielle aire de jeux. _____________________
1“Le propre du langage est d’être un système de signes sans rapport matériel avec ce qu’ils ont pour mission de signifier. Si l’art était une imitation complète de l’objet, il n’aurait plus ce caractère de signes. Si bien que nous pouvons concevoir l’art comme un système significatif… Mais qui reste toujours à mi-chemin entre le langage et l’objet.” C. Lévi-Strauss (entretiens avec Georges Charbonnier, Plon – Julliard, 1961)
2 Marie-Johanna Cornut est lauréate de la première édition Host Call (2019) et reçoit le Prix Marfa qui lui permet de bénéficier d'une bourse pour une résidence d'artiste de deux mois à Marfa au Texas.
Léo Bioret

crédits: Marie-Johanna Cornut, "Une année platonique", 2013, vue d'ensemble, dimensions variables , © Yann Gachet
"Panoramic", 2016, bois, tube plastique, miroir / dimensions : 156 x 700 x 60 cm (dimensions variables), © Cécilia Philippe