Leo Bioret / Qu'en est il de la parole de l'artiste ?, VINCENT LAMOUROUX
Qu'en est il de la parole de l'artiste ?
Ces dernières années ont été sources de questionnements subjectifs sur un monde artistique en constante expansion. Lectures, rencontres, aboutissements professionnels, dialogues, échanges, problématiques et découvertes, m’ont mené, à la pratique des espaces et leur archivage et surtout à la parole de l’artiste et sa conservation. Je nourris mes réflexions de constats multiples. Ils résultent d’interrogations sur la place de l’artiste aujourd’hui et moins sur celle de l’œuvre, un glissement s’opère de l’objet d’art vers l’individu. S’intéresser à l’artiste, c’est s’intéresser à son discours et sa typologie. Se met alors en marche un processus de familiarisation de l’art contemporain par le lien créé, entre l’initiateur de création et son interlocuteur, cherchant à produire la parole. Les propos artistiques sont des modes d’expressions et de créations à part entière. Ce sont de réels moments de monstration et de dévoilement ; des formes de performances menées. La rencontre guide ma pratique et assouvie ma curiosité artistique. Je pense alors chaque chronique sur un modèle d’évolution de la parole d’artiste et sa place dans une culture contemporaine de l’oralité et du mouvement permanent.
Première fois dans un taxi - octobre 2008, 11h30, Institut d’art contemporain, Villeurbanne.
Je m’apprête à rencontrer Vincent Lamouroux, plasticien parisien, grand amateur d’architecture et réalisateur d’expérimentations spatiales surprenantes. Je souhaite lui poser quelques questions sur les deux productions présentées dans l’exposition Fabricateurs d’Espaces à l’IAC. C’est la toute première fois que je pratique cet exercice, faire un entretien d’artiste, où plutôt subir un entretien d’artiste. Le souvenir est bon, le moment est stressant mais d’une richesse de références artistiques incroyable pour le petit étudiant que je suis encore. Je ne maîtrise rien, le lieu et l’espace sont exigus, nous sommes à l’arrière d’un taxi, il doit reprendre son train, nous avons dix minutes. Elles me paraissent en faire quarante. Je prends beaucoup de notes et pose des questions pressées et ciblées, car la dizaine d’interrogations préparées à l’avance doit être remaniée au dernier moment.
« L .B : Comment les deux sculptures AR.09 et AR.07 deviennent-elles créatrices d’espaces ?
V.L : Il existe une forte dialectique entre les deux œuvres AR.07 et AR.09. Les cubes blancs font partie intégrante des lieux et les structures métalliques jouent sur l’autonomie. L’une est le négatif de l’autre. Elles sont complémentaires, très différentes mais extrêmement liées. La pièce blanche s’appréhende par l’expérience de l’espace. Elle a une dimension très populaire. Les spectateurs ont tous leur point de vue sur l’œuvre. Leur expérience de la vie fait qu’ils ne la verront pas de la même façon, l’œuvre est vue différemment par chacun. Marshall McLuhan a une vision de l’espace qui me plaît beaucoup ; « un jour l’espace ne sera plus qu’un espace libre ou occupé. Dans un sens je me retrouve dans une vieille définition du terme de Fabricateur ; qui fabrique des objets sans valeur et à but d’illusion. C’est surement là que se joue la création d’espace.
L.B : Il existe une vraie adéquation entre les titres de tes pièces et l’exposition.
V.L : Oui, le droit à l’espace est une notion a laquelle je porte grand intérêt. Avec le statut d’artiste, je bénéficie d’une liberté d’intervention. Le titre générique et numéroté, Air Right 07 et 09 figure cette possession de l’espace et ses possibilités. »
Cette discussion sera présentée en partie dans mon mémoire comme documentation sur l’artiste et son travail. Cependant j’ai retrouvé il y a quelques mois, de nombreuses pages de notes qui correspondent aux conversations téléphoniques que nous avons échangées par la suite et qui n’ont jamais été retranscrites. Beaucoup d’informations ont circulées, mais il a toujours pris le temps de me parler de ses œuvres, de l’emploi de son temps, de ses lectures, ses expositions, mais surtout ses préoccupations autour des espaces. Ces notions me fascinent encore aujourd’hui. Vincent Lamouroux ouvre le champ des possibles. C’est ce qu’il m’a confié il y a sept ans. Depuis quelques temps c’est la fameuse marque de biscuits uniques, qui prône ce slogan à tout va ; même si d’une parole à l’autre, je suis plus disposé à croire l’artiste que le publicitaire.
V.L: « Lorsque je découvre un espace pour la première fois, il a l’avantage que tout est possible. La plus grande diagonale dans l’espace fait sa qualité, une qualité qui se définie au sein d’un musée ou d’une structure accueillant l’art contemporain. Georges Pérec dans, La vie mode d’emploi, conçoit un habitat où chaque pièce a sa fonction. Il imagine une pièce, dans cet habitat, qui ne servirait à rien, qui serait vide et sans but précis. C’est le luxe ultime d’avoir une pièce inutile. Ouvrir le champ de tous les possibles permet des choix de création et créé ce luxe. Cette manière d’occuper l’espace est une démarche qui me plaît. Le principe de l’œuvre type ne m’intéresse pas trop ; je préfère travailler sur une expérience inédite de l’espace à chaque fois. »
Léo Bioret

crédits: photographie Blaise Adilon
Vincent Lamouroux, "AR.07", collection IAC, 2008