Leo Bioret / Tout va très bien Madame la marquise, BÉATRICE DACHER
Tout va très bien Madame la marquise
Entretien, 2016
Léo Bioret : Dans quelles circonstances s’est faite cette invitation du collectif BLAST pour ta résidence à Angers ?
Béatrice Dacher : Cécile Benoiton et François Brunet souhaitaient m’inviter depuis déjà quelques années dans de bonnes conditions, avec du temps, un accompagnement, des moyens et un espace approprié pour me gâter, ce qui est vraiment appréciable. Cette invitation est venue d’un geste généreux de la part du collectif BLAST. Le lieu qu’ils m’ont proposé pour cette résidence est situé dans un quartier particulier d’Angers et s’adaptait à mon travail, lié à la rencontre.
L. B : Comment as-tu adapté ta manière de travailler, tes observations et tes retranscriptions d’un quartier, à une résidence comme celle-ci ?
B.D : La situation géographique de l’espace de la Serre, qui m’a servit d’atelier, est assez isolée. Je me retrouve alors dans une partie du quartier en construction, ce qui a fait évoluer mes intentions de départ. Pour construire il faut raser et enlever de la terre avec des machines. J’ai tout de suite été attirée par toutes ces grues autour de l’atelier, toujours en activité et en rotation. J’ai donc souhaité allé à la rencontre des ouvriers pour leur demander s’il était possible de faire des photographies du haut de leur grue. Ce n’était pas des « vues du ciel » qui m’intéressaient mais plus le point de vue du haut de la grue, au dessus du chantier. J’ai confié l’appareil à trois grutiers afin qu’ils me livrent leur propre regard sur leur paysage. Au début de ma résidence je souhaitais partir sur la notion de « merveilleux »,qui aborde aussi une part de désenchantement. Dans l’une des images que m’a faite Stève Lorieux, il a zoomé sur un château très loin dans le paysage, ce qui ramène quelque chose en plus dans le regard, de merveilleux (dans l’imagerie traditionnelle du château d’autrefois et des contes). J’ai agrandie cette image déjà pixélisée, au maximum des possibilités d’impression de la machine. Le château apparaît alors comme un mirage. L’idée du « merveilleux » est loin et floue. M’ai venu de manière très ironique le titre de cette résidence – exposition, Tout va très bien Madame la marquise. Est-ce que tout va très bien ? Je ne sais pas.
L. B : Quel était ton processus de travail quotidien ?
B.D :J’ai initié des ballades dans le quartier où j’ai été interpellée par des talus fleuris. Je trouvais ça très beau dans ce paysage en chantier, ça m’a apaisée. Au fil de ce processus, malgré les constructions, une zone de désertification s’est dessinée. C’est un quartier avec beaucoup de contrastes. Le paysage a vraiment été très détérioré et sur ce genre de territoire il y existe une faune et une flore auxquelles on ne prête pas forcément attention et qui ne sont presque plus présentes dans ce quartier urbanisé. Je suis sensible à la vie qui m’entoure. Il s’avère que je n’ai jamais vu aucun oiseau depuis que j’ai commencé ma résidence.
L. B : On découvre tes préoccupations environnementales dans ce projet. Tu apportes un soin particulier à préserver et mettre en lumière ce qui t’entoure. Parlons de cette dimension de « développement artistique durable ».
B.D : Pointer du doigt la disparition, c’est un travail que j’ai déjà fait avec le mouchoir de Cholet. Je l’ai agrandi de telle manière qu’il devienne une parure pour un éléphant en Inde. Le mouchoir est un objet textile que l’on utilise presque plus, ce qui m’a intéressé c’est de déplacer ce patrimoine en Inde où la délocalisation de la fabrication des tissus est maintenant en Chine. Faire porter cette parure était une manière de montrer cet éléphant qui disparait petit à petit comme certains savoir-faire emblématiques de nos villes. J’ai ce besoin d’exprimer artistiquement, à ma manière, la disparition, comme un moyen de préserver et de protéger. Lors de cette résidence à Angers, je me suis intéressée aux moineaux domestiques, ces petits oiseaux que l’on voyait quotidiennement sur nos tables en terrasses ou dans les parcs. Aujourd’hui, en ville, on n’en voit presque plus et je suis sûre que les gens ne s’en aperçoivent pas. Je prends vraiment comme un rôle important, de montrer les choses. Un déséquilibre très fort se créé et on ne le prend pas assez en compte. Je pense qu’il faut vraiment y faire attention.
L. B : Tu approches de la fin de cette résidence. Te souviens-tu de la première fois que tu es sortie de ton atelier pour découvrir le quartier ? Peux-tu me raconter cette première promenade ?
B.D : Je me souviens de toutes mes promenades ! J’ai pris mon appareil photo et je me suis baladé vers le quartier Verneau. Sur un parking où il y avait quelques caravanes de gens du voyage, il règne une grande pauvreté. J’ai croisé un couple avec deux enfants qui m’ont demandé ce que je photographiais. Ils m’ont expliqués qu’il y avait juste derrière, sur des palissades, une exposition de photographies du quartier. C’est à ce moment là que j’ai photographié une vue du ciel du quartier en 1920. Il faut savoir que la communauté des gens du voyage était présente bien avant tous ces travaux qui ont commencé dans le quartier des Hauts de Saint-Aubin, dès les années 80. C’est la première image que j’ai prise, une photographie d’une exposition de photos.
L. B : Ton espace de travail se transforme en espace d’exposition. Comment as-tu expérimenté ce type de modulation de l’espace ?
B.D : Lors de mes promenades quotidiennes, les grues étaient vraiment le symbole de l’activité et du mouvement. La vie était là, dans ces constructions encore en chantier. L’idée de confier l’appareil photographique aux grutiers a excité ma curiosité. Quelles images allaient-ils me ramener ? J’ai décidé d’accrocher leurs clichés au fur et à mesure dans l’espace, à la manière d’un atelier de recherches. Le projet d’exposition s’est vraiment construit au fur et à mesure de ma résidence sur un processus. J’avais besoin de m’entourer d’images qui me permettent de voir l’évolution de la résidence et de passer d’une chose à une autre. Ce cheminement est un support de travail. L’exposition suit donc l’accrochage tel qu’il s’est passé pendant ma résidence.
L. B : Parlons de l’exposition, que présentes-tu dans l’espace de la Serre ?
B.D : Cette exposition est une installation où cohabitent différents objets et images comme celle du château, agrandie et imprimée sur un grand poster. Des objets représentants des animaux sont installés sur une étagère et d’autres fixés au mur. Ce sont les animaux du coin, que l’on peut retrouver dans nos campagnes : faisan, biche, cygne, sanglier et aussi des rivières avec les poissons comme le sandre et le saumon qui disparaissent également à cause de la pollution. Il y aura aussi une vingtaine d’arbres dans l’espace d’exposition, des bouleaux et des érables. Je souhaitais que ce ne soit pas des arbres de décoration mais des arbres de forêt. Ces arbres sont prêtés par la ville d’Angers en sacs afin de parler aussi de cet état de déforestation lorsque les travaux commencent.
L.B : Tu fais en quelque sorte un travail de mémoire du territoire.
B.D : Oui, c’est un point fort qui anime toujours ma pratique artistique. Le principe de la résidence m’apporte une richesse dans les détails du fait du déplacement. Le fait de voir et découvrir un autre contexte, un autre paysage, est enrichissant.
__________________________
Entretien réalisé par Léo Bioret avec l'artiste Béatrice Dacher - jeudi 17 mars 2016 – ateliers Boselli « La Serre »
crédits: Béatrice Dacher, 2016, exposition "Toutva très bien Madame la marquise", Angers