Leo Bioret /L'Atelier des Hausses, FRANÇOIS BRUNET / LÉO BIORET
:.BIORET
__________
François Brunet, Hausses, 2016


Avant-propos
L’histoire de ce projet s’est construite autour d’une ruche sauvage prise d’assaut par des frelons
asiatiques au 3 boulevard Daviers à Angers, durant l’été 2015.
Les discussions récurrentes entre artiste plasticien et critique d’art ont évolué en une idée persistante.
L’artiste, François Brunet, a alors proposé une production et le critique, Léo Bioret, des connexions,
en écrivant autour du projet.






Cette réflexion commune, s’inspire de l’infra-écologie évoluant
dans l’environnement de notre pratique quotidienne.
Par rebondissements, nous avons cherché des solutions pour
ces abeilles. Il s’agissait en fait de répondre à nos propres
questionnements. Au-delà d’une démarche de développement
durable et de nos implications écologiques respectives,
l’initiative de ce projet réside dans l’intérêt que nous
apportons à ce qui nous entoure, aux détails, qui régissent
l’équilibre naturel que nous tentons d’apprivoiser.
Nous n’avons aucune prétention dénonciatrice, par l’exposition,
nous parlons de constats. L’Atelier des Hausses, est
une démarche artistique en duo, qui invente son propre
schéma de causes à effets. Nous expérimentons de nouveaux
supports de création qui parcourent différents systèmes
d’interprétation: la dimension narrative, l’abstraction,
l’utilité et le détournement, l’interaction et la réaction,
la documentation et la relation à l’image, l’obsolescence
et l’imagination. Soulever ce qui à trait à l’interprétation
est vaste ; nous en avons modelé une infime partie.
Le dispositif d’écriture mis en place, interroge la forme
de l’exposition et le rapport aux oeuvres, à travers de
nombreux éléments déclinés: carte postale, édition,
feuille de salle, texte d’intention, notices d’oeuvres,
supports, socle, etc.
L’Atelier des Hausses, c’est l’oeuvre tentée,
l’interprétation bousculée, l’écriture regardée et l’atelier
grand ouvert. C’est l’impulsion créatrice.
___________________________

Exposition > 26 octobre - 27 novembre 2016
ANGERS




:.BIORET
__________
Cécile Benoiton, Happy, 2016













:.BIORET
__________
François Brunet, Refaire le monde, 2016













:.BIORET

La dernier essaim avant la fin du jour
D’abord, il fait noir. Petit à petit, la lumière au bout de l’endoscope fait apparaître des parois de pierre.
L’obscurité dévoile pour la première fois ses secrets. La cavité est profonde et les recoins regorgent
d’alvéoles et de constructions incrustées dans chaque failles de la pierre.
Ensuite, le calme. Aucune activité, aucune entrave à la progression de la tige articulée.
Les couloirs rétrécissent, pour s’ouvrir quelques centimètres après, sur des zones plus larges tapissées de
petites cases operculées, vides, occupées jadis par des larves blanches juteuses, se tortillant pour exprimer
la vie. Le faisceau lumineux semble chercher en vain un quelconque mouvement, un signe d’occupation
des lieux, une danse calculée, une survivante… Enfin, le silence. Il faut se rendre à l’évidence,
elles ont disparues.
L’explorateur n’a rien trouvé d’autre que le vide, les vestiges d’une activité passée. Il range sa caméra,
jette un dernier regard au bloc de pierre de l’entrée et se rend à l’évidence.


:.BIORET
__________
photographie de François Brunet, édition, journal de l'exposition, 2016

… Elles ont passées l’été à se battre. Les réserves de nectar étaient donc faibles cette année,
les frelons ne leur ont laissé aucun répit. Tout était une question de décollage et d’atterrissage.
Le mur se dressait comme un support protecteur abritant tout un ecosystème.
Un équilibre qui menaçait de basculer à tout moment. Sept mètres de haut sur soixante-dix
de large, un mur colossal principalement constitué de blocs de schiste.
Une partition apparaissait sur le parement, irrégulière et très dense: les blocs de tuffeau
s’incrustaient entre les tranches d’ardoises bleutées, grises, presque rouillées et blanchies par endroit,
quelques zones de briques orangées se distinguaient sur le mortier gris et la végétation colonisatrice
aux couleurs chaudes de l’été, terminait la composition. La base du mur, un contrefort en pente douce
cimentée, soutenait le mur sur un mètre trente. Les mousses, en colonie, vertes, marrons et rougeâtres,
alternaient avec des petites taches de lichens blancs. Le lierre recouvrait la plus grande partie de
la base du mur. Telles des échelles multipliées, se hissant tout en haut de l’édifice, les tiges aux
feuilles en coeurs vertes du lierre, grimpaient toujours plus hautes entres les squelettes blanchis
et secs des anciennes tiges invasives.
Au pied du mur, une première stratification de végétation, riche, qui se contraignait
sans limite au profil et au relief de la construction en pierres. Giroflées, jeunes chênes et érables,
noisetiers et petits épicéas, euphorbes et graminées, rivalisaient de vertes de marrons et de jaunes avec,
les arbres immenses qui encadraient le mur. Un laurier sauce garni, un tilleul odorant et deux frênes
plus hauts que le mur, se dressaient, solides. Sur la partie haute du mur, les sédums rougissaient sous
leur minuscules et nombreuses fleurs jaunes et blanches. Un tapis qui s’étirait entre les frondes
verdoyantes des grappes de fougères de Boston. Lorsque le lierre a rejoint le sommet du mur,
il a continué à faire des branches, tiges et fleurs vers le ciel, redemandant de la pierre, dressé tel
un conquérant. L’entrée de la ruche se trouvait à deux mètres dix du sol, une meurtrière délimitée par
un grand linteau d’ardoise de plus d’un mètre horizontal, au dessus de l’entrée d’une vingtaine de
centimètres de large sur six de haut. Le rectangle était soutenu par une plateforme en ardoise intérieure,
une grande veine de lierre poussant d’un côté. Dans la discrète ouverture, on distinguait quelques ouvrages
en cire, mais surtout, les butineuses s’envolant au travail et revenant chargées de pollen.
Un balai incessant et très organisé, car tout était une question de décollage et d’atterrissage.
Leurs grandes pattes trainant derrière l’abdomen, leur vol était lourd et menaçant. Les prédateurs
n’ont aucune crainte à s’approcher à quelques centimètres de l’entrée de la ruche.
En vol stationnaire, ils répétaient les mêmes vols d’observation, d’attente, de tentatives et enfin
d’attaque. Les antennes dans l’axe de décollage, le moindre mouvement sortant de la ruche et ils fonçaient
droit devant, les torpilles étaient précises. Si ce n’était pas un succès, la prochaine travailleuse
était vouée à être leur proie. Les abeilles noires ne se sont pourtant pas laissées faire.
Elles ont lutté avec courage et force depuis quatre ans, mais les ravages se sont fait sentir.
Les techniques de défenses étaient à leur image, collectives et dévouées. Des grappes de centaines
d’abeilles sortaient de la cavité en se laissant glisser le long de la pierre chaude.
La force fut dans le nombre. Elles piquaient en dernier recours et quand certaines d’entre elles
se sacrifiaient, c’était pour sauver la Reine.
L’artiste les observa d’un printemps à l’autre. Il y avait surement trop de frelons cette année.
Les survivantes comptaient sur le lierre comme dernière source d’énergie de la saison, mais les
frelons étaient tapis derrière les feuilles luisantes de la plante grimpante.
Les têtes sont tombées… L’hiver fut parfois doux, parfois rude. Les bourgeons sont allés très vite
et se sont fait avoir une fois de plus. Le soleil chauffait à nouveau la pierre, le mur commençait
à s’agiter. Le nettoyage de printemps débutait.
L’artiste semblait inquiet, leurs premiers allers-retours avaient changés, leur comportement
n’était plus le même. Il faisait bon, mais aucune d’elles ne sortait, puis les grappes
se reformèrent à l’entrée. Le lendemain, plus rien. Les jours se suivaient, se réchauffaient
et les butineuses sortaient de manière très aléatoires. Les grappes s’intensifiaient, les vols
étaient désorganisés. L’artiste était prêt, il savait que c’était la seule solution.
Il s’approcha, observa, se questionna. Et ça a commencé...
(extrait de Le Dernier essaim avant la fin du jour)
:.BIORET
__________
Edition, L'atelier des hausses, 2016